il était temps
Luthi peut dormir tranquille !
On a tous des rêves , parfois un peu fou. Pour certain, ça sera de sauter en parachute, d'autres faire le tour du monde, escalader le Mont Blanc, rencontrer un acteur connu, avoir une Porsche, acheter une Goldwing. On trouve une multitude de textes et articles sur le net qui débattront de la pertinence de réaliser ou non ses rêves. Certains vous diront que réaliser ses rêves, c'est risquer de ne plus avoir de but dans la vie, et de se retrouver un peu blasé. D'autres vous diront que ne pas les réaliser risque de vous donner l'impression d'avoir raté quelque chose dans votre vie. Rien que ça.
Bon, laissons de coté la psychologie de café du coin, et parlons de MON rêve. Depuis que j'ai commencé la moto sur piste, j'ai toujours rêvé de piloter une vraie moto de course. Pas une pistarde "préparée" avec 1 poly, des gros freins et un pot qui respire hein. Non non, une Vraie moto de course. Je n'avais jamais eu l'occasion de le faire (ou plutôt ne m'était jamais donné l'occasion de le faire).
Et puis sont arrivés mes 40 ans. Vous savez, "le" jalon qui fait flipper beaucoup de monde. On ne parle pas de la crise de la quarantaine pour rien. Et là, j'ai eu le choix. M'acheter un vieux 125 TW pour aller faire le con dans la terre, ou contacter l'organisateur de roulage First On Track pour discuter avec eux de leurs motos de location. Ça tombait bien, ils organisaient un roulage de 2 jours au Mans en août, et louent des 600 CBR et des 1000 CBR. Et surtout, ils louent une moto2 !!
Put###, une moto2, une vraie moto2. Une Suter de 2012 ex Jordi Torrès , avec une fourche Ohlins pressurisée GP, des freins Brembo GP et un amortisseur ttx36 Ohlins.
Après une grande et longue réflexion (au moins 48h), quelques échanges de mails avec Ludo de First On Track, j'ai sauté le pas début 2016 et pris ma décision. Le 16 août, je roulerais au Mans avec mon 400 vfr, et le 17, un mois pile après mon quarantième anniversaire, je prendrais le guidon d'une moto 2.
C'est à ce moment là je pense, que sentant venir le danger, Tom Luthi a peut être essayé de renégocier son contrat
.
Voyage dans le temps, 16 août 2016, 18h00, je rentre dans le box de First On Track pour qu'on me donne quelques infos sur la Moto2 que j'aurais le lendemain. En bref, la boite est inversée, le frein avant est très progressif et très puissant, et le pneu avant sera changé
.
La moto est sur ses béquilles, chauffantes en place. Elle est comme neuve, on dirait qu'elle attend le départ. Tout est beau dessus. La fourche est à tomber, les freins superbe, la finition exceptionnelle, le tableau de bord fait la taille d'un ipad, avec en gros le compte tour . La selle ressemble à un tapis de souris qu'on aurait posé sur une coque de sportive passé au lave vaisselle, les commandes reculées, le T de fourche, les leviers, le bras oscillant qui ferait passer celui d'un 600 sport pour un bête bout de métal, tout est beau et respire la recherche de performance. Sur le bracelet gauche, 2 petits boutons, un pour le limiteur à 60, l'autre pour le coupe contact. Racing jusqu'au bout des boutons.
Je suis rentré à mon box en pensant "boite inversée, boite inversée, boite inversée". Effectivement, même avec mes années de piste, je n'ai jamais roulé en boite inversée. Une fois au box, mes collègues m'ont rassurée, "t'inquiète, au bout de 3 tours ça devient un réflexe", "moi je le fais tout le temps", "si tu te trompes tu te bourres".
Je me demande encore comment j'ai dormi ce soir là.
17 août, 9h50, je rentre dans le box First On track. Je stresse un peu quand même. Je vais réaliser mon rêve. Tourner au Bugatti avec une meule de Moto2. Le mécano enlève les chauffantes, me démarre la moto, me rappelle que la boite est inversée et hop, en piste.
Le compte tour est gradué à partir de 6000 trs/mn ! les leviers, les bracelets, le maître cylindre de frein, tout est beau et respire l'efficacité, En passant devant les autres box, je sens les regards des autres pilotes quand je rejoins la sortie de la pitlane. Je rentre sur piste en répétant dans ma tête "boite inversée".
Pendant la 1ère session, je prends doucement la mesure de la moto. Niveau position, la selle est haute, les bracelets très bas, ça braque zéro. Le sélecteur tombe bien sous le pied, même si au début, je vais un peu tatonner pour le trouver. Bizarrement plus pour monter les vitesses que les descendre. Sur le premier tour, la moto me donne des à-coups désagréables après chaque changement de rapport. Je comprends assez rapidement que la moto est équipée d'un shifter (NDLR : oui, je sais c'était évident), et découvre avec joie ce système (NDLR: j'en veux un). Je constate rapidement que le compte tour ne marche pas (ou alors je suis toujours resté sous les 6000trs, mais je ne pense pas
)
Comme on ma l'a dit hier, les freins sont effectivement très très (très très très) efficaces. D'abord ça freine bien. Et ensuite, quand on tire un peu plus sur le levier, ça freine très bien. A tel point que j'aurais dans la journée bien souvent l'impression d'arriver trop vite, pour finalement remettre un coup de gaz avant d'entrer en courbe.
Le moteur, qui n'a beau être "qu'un" 600 cbr préparé, pousse bien plus que tous les 600 que j'ai pu essayer. Il faut un peu la forcer pour entrer en courbe, la partie cycle est hyper rigide. Au freinage, ça ne bouge pas. Rien. L'impression d'être sur un rail. Je me traine. Mais genre vraiment. Je réalise que je suis sur le Bugatti, sur une moto2. Je vais me réveiller.
Et c'est déjà le drapeau à damiers. Je n'ai pas posé le genou, je me suis fait doubler par plein de monde, mais c'est bon. Je rentre au box, le mécano me demande "alors, c'est bon?". Tu parles Charles.
1h15mn plus tard, je reviens au box prendre "ma" moto2. Le mécano voit mon casque, me le prend, et nettoie ma visière. Pilote d'usine je vous dis. La 2e session se passe mieux, je ne fais plus d'erreur de vitesse, le slider frotte par endroit, je commence à arriver un poil plus vite aux repères de freinage. Je me note dans un coin de mon cerveau écrasé au fond de ma boite cranienne de poser mes repères de freinage un peu plus tôt (donc environ 50m avant Zarco).
A chaque sortie de virage, je suis bluffé par le moteur. Sortie, accélération, pied sur sélecteur, la vitesse passe en restant gaz en grand, l'accélération ne se coupe pas, j'adore. Le truc que je trouve démentiel c'est que même en passant la 6, ça continue de pousser. J'ai vraiment l'impression que la courbe de puissance est exponentielle. Il est évident que ce n'est pas le cas, mais c'est l'impression que ça donne. J'ai toujours eu le défaut de ne pas serrer assez le réservoir avec les genoux au freinage. Sur le NC30, ce n'est pas excessivement gênant, mais sur cette moto, je vais vite me rendre compte que c'est indispensable pour ne pas avoir (trop) mal aux poignets.
Chose étonnante (je trouve) pour une moto de course, le carénage et la bulle protègent vraiment. Une fois couché derrière, c'est le calme, juste le son du moteur, et la chaleur (bon ok, il fait 35 degré dehors). Et au freinage, quand je sors de la bulle, cette impression de se prendre un mur d'air dans la figure. Il faut "brutaliser" un peu la moto pour tourner. Enfin, disons que ce n'est pas une moto faite pour rouler lentement. Le mécano m'avait prévenu, "au ralenti, c'est un camion, et dès qu'on roule un peu, un vélo". C'est exactement ça. Prendre les freins avec 2 doigts, relâcher doucement en couchant la moto, changer de trajectoire sur l'angle, redresser, mettre gaz, passer les vitesses en étant encore sur l'angle, recommencer. Le plus frustrant, c'est de rentrer en courbe en se disant qu'avec 50 bornes de mieux, ça passerait encore facile (mais le chèque de caution est là pour me dissuader d'essayer
).
J'ai donc passé 5 sessions de 20 minutes avec cette Suter, dans la peau d'un pilote d'usine. Tout ce que j'avais à faire, c'était de venir en cuir 5mn avant le début de la séance, un mécano m'attendait, enlevait les chauffantes, mes démarrait la moto, et hop, je n'avais plus qu'à mettre gaz. En fin de session, je revenais devant le stand, le mécano rentrait la moto, la remettait sur béquille, et remettait les chauffantes. Je n'ai pas "juste" roulé en moto2, j'étais vraiment dans la peau d'un pilote d'usine (les chronos en moins).
C'était un rêve de 16 ans, maintenant que je l'ai réalisé, je n'ai qu'une envie : recommencer. Si vous en avez l'occasion (et le budget, rien ne sert de nier, ça coute un peu, mais comme le disait une certaine pub, réaliser son rêve, ça n'a pas de prix), allez y.
Si vous ne voulez pas louer, on en trouve de temps en temps sur leboncoin pour 30/35000€ (une en vente en ce moment 32k€)
Les + :
- Rouler sur une vraie moto de grand prix, sur un vrai circuit de grand prix
- Réaliser son rêve
- Rouler 7 secondes plus vite qu'avec ma moto en gardant une marge de sécurité monstrueuse
Les - :
- J'ai du la rendre
- Mon prochain roulage sur ma moto va me sembler bien fade
- Zarco n'a rien à craindre de moi
- Petit truc pas vraiment gênant pour une prise en main mais agaçant quand même, le compte tour ne marchait pas.
Reste la question qui fâche : combien ça coute. Je parlais au début du choix entre l'achat d'une vieux 125TW et la location d'une moto2, c'est effectivement un peu ça. La location d'une moto2 à la journée avec First On Track vous coutera 800€ (sans l'inscription au roulage), et le chèque de caution permettrait d'acheter un 600 CBR de 2011 (cote de l'occasion du repaire), mais on n'a 40 ans qu'une fois.